accueil | entretien | voyage | un théâtre d'enfants... | notes 1 & 2 | clinique | genesi | liens


Notes sur Gulio Cesare -1


� premi�re version �
�L'art est une arme� - Friedrich Wolf.����

Lib�ration
�crit que le festival d'Avignon ne fait pas de choix entre une programmation prestigieuse de grands metteurs en sc�nes-r�f�rences europ�ennes, et un laboratoire incertain d'exp�riences nouvelles, ferment de la nouvelle g�n�ration. Ce constat rejoint la question qui agitait le colloque organis� par �Avignon public off� : le Minist�re doit-il favoriser l'action culturelle ou d�fendre une stricte politique de cr�ations? Ce d�bat n'est pas tr�s diff�rent, en ce qu'il montre � sa mani�re que l'art doit probablement investir de nouveaux espaces, et inventer de nouveaux moyens de production. Il montre surtout que ceux qui regardent l'invention artistique aujourd'hui, les critiques et autres observateurs de l'imaginaire, toute cette gente comp�tente et qualifi�e semble avoir perdu toute confiance en elle. Il n'y a plus aujourd'hui de ces critiques qui prennaient violemment parti pour ou contre une d�marche artistique. La raison invoqu�e est que les �uvres actuelles sont format�es, r�duites au rang de pur produit spectaculaire � consommer. Comme si rien ne passait par les mailles du filet dominant� Faut-il en conclure que la critique elle-m�me est gagn�e par les miroitements du pouvoir? Car il est en effet trop facile et faux de r�duire le festival d'Avignon � un faux �v�nement qui se cherche. Est-on en droit de lui demander quarante chocs de th��tre, autant de r�v�lations qu'il y a de spectacles? N'est-il pas d�j� �norme d'avoir eu cette chance de participer au Gulio Cesare de Shakespeare mis en sc�ne par la Societas Raffaello Sanzio.

Que dit-il de si inventif, le Gulio Cesare des �Italiens�? Pourquoi secoue-t-il � ce point ceux qui le regardent? C'est tr�s simple. Cesar est une victime, un homme du pouvoir - ce qui n'a que peu � voir avec les hommes de pouvoir. Un homme captur� dans l'incontr�lable machine du pouvoir. Quelle est cette prodigieuse machine qui d�proprie tout homme, y compris les plus brillants, de son pouvoir autonome? C'est l'organe de la langue, celui qui fabrique la parole humaine ; c'est tout le savoir qui provient de ce pouvoir de parole � qui est forc�ment une parole du pouvoir, asservisant ceux � qui elle s'adresse. En s'emparant du Gulio Cesare de Shakespeare, Castelluci nous fait voir que cette force politique de la parole, la rh�torique, est une v�ritable technologie, qui s'abreuve au lait des inventions de pointe, comme les arm�es les plus performantes. Avec cette r�ciproque, qui est tout aussi vraie : la technologie est une arme de pouvoir. En prenant la place du �P�re�, Brutus engage une bataille qui commence apr�s la mort de l'Empereur Cesar. Il ne lui survivra pas. Car aux tr�fonds de lui-m�me, le fils qui prend le pouvoir est comme br�l� par ce qu'il touche : le combat pour l'Empire est une bataille d'organes, ceux de la parole. Mais cette bataille est morte n�e, elle tourne en pure boucle, sans plus de prise sur ce qu'elle pr�tend ma�triser. Antoine, celui qui ne choisit pas (de prendre) le pouvoir, Antoine, celui qui plaide pour l'un en faisant l'apologie de l'autre, Antoine, le discoureur sans voix br�l� par le cancer, est la voix qui gagne.

Le spectacle de Castelluci est dur, dur comme le bois calcin�. Il livre sa vision brute, et sans arrondi, sans explication. On va dire qu'il maltraite le grand po�te, que Shakespeare est trahi dans la folie de ses acteurs. Oui, sans doute. Shakespeare a s�rement lui-m�me inocul� le poison qui dissout, dans les mots qu'il s�cr�te, ses trag�diens-tyrans de papier. Il nous dit tranquillement que le fils qui tue le p�re ne peut vivre, parce qu'il tue ce qu'il aime, le pouvoir. Il ne peut donc continuer � mettre en �uvre le projet qu'il ourdit, il ne peut plus vouloir le pouvoir. Il n'a plus qu'� mourir, seul, prisonnier du bois calcin� de ses espoirs.

On peut constater, comme le directeur du festival d'Avignon, qu'il ne se d�veloppe pas, dans le festival d'Avignon, de politique de d�couvertes de formes nouvelles et de jeunes talents. Ni jeunes talents ni grosses pointures. C'est d'ailleurs ce que confirme le point de vue g�n�ral des spectateurs, gagn�s par l'id�ologie du tout vaut tout, avec sa variante pour conversation oblig�e : �Kestavudbien?��

On peut faire ce constat, � condition de tronquer la r�alit�. Il me semble tout � fait partiel de dire que le festival ne d�fend pas des aventures singuli�res qui tranchent avec les esth�tiques dominantes. Il en existe chaque ann�e (une, ou deux, mais c'est d�j� beaucoup�), le probl�me est qu'il faut que les multiples relais s'accordent � reconna�tre la force singuli�re de ce qu'ils voient. Or, le plus �tonnant cette ann�e, c'est la paresse du jugement, l'incapacit� � d�fendre ou refuser vraiment, vraiment, une proposition sc�nique.

Manifestement le Gulio Cesare de la Societas Raffaello Sansio aurait d� provoquer les plus �pres affrontements entre spectateurs diff�rents, tant le propos vient d�ranger, fouiller loin dans les entrailles de nos agirs d�mocratiques (disent-ils). La vraie pulsion qui s'apparente le plus � la d�mocratie en acte est sans aucun doute l'opposition, la force de dire non, et de proposer autrement. En toute nettet�. Ce n'est pas la pratique dominante, en ces jours d'affaires et de compromis cohabitationnistes. C'est plut�t le temps de la ruse rh�torique, celle dont Castellucci nous d�voile tous les rouages. C'est peut-�tre pour cette raison que le spectacle n'appara�t pas de fa�on manifeste : il est broi� lui-m�me dans la machine qu'il d�nonce.

Quoi qu'il en soit, la Societas Raffaello Sanzio est une grande troupe de th��tre, sans jeune talent ni grosse pointure� Plut�t une r�v�lation - de celles qui devraient surgir � chaque spectacle. Comme d�j� dans leur pr�c�dent travail sur l'Orestie (Orestea). Il faut esp�rer que les spectateurs fran�ais pourront d�couvrir le prochain, qui tournera autour du commencement, � partir du texte de la Gen�se.

C'est ici que je ne comprends pas bien le d�senchantement forc� de Bernard Faivre d'Arcier. Pourquoi aujourd'hui les projets novateurs seraient-ils imperceptibles pour les spectateurs qui y assistent? Pourquoi faire de la �reconnaissance apr�s-coup�[1] la condition du moderne? Alors qu'on sait fort bien que les grands �v�nements th��traux sont des chocs inoubliables pour ceux qui ont vu (Vitez montant Claudel, Py montant la Servante en vingt-quatre heures, etc�). Il vaudrait mieux dire qu'une �uvre qui compte peut rester longtemps minoritaire - mais d�s son �mergence, elle est per�ue dans ce qu'elle a de d�routant. Elle �tonne.
[1] C'est ce qui appara�t dans ce passage de l'entretien d�j� cit� : �En programmant alors Pina Bausch, Georges Lavaudant, Anne-Theresa de Keermaeker et d'autres, on n'avait pas du tout l'impression de faire bouger le festival. Les gens disaient : �C'est n'importe quoi�. Et on se faisait attaquer, justement parce que ce n'�tait pas reconnu.� Aujourd'hui l'attaque elle-m�me n'a plus ce droit de cit�, ce pouvoir de faire na�tre une question publique.
© 2001 - bruno tackels & [sprechgesang]
Tous droits réservés